Arts Scéniques Danse

BIPOD 2017: Entretien avec Mia Habis, Directrice Artistique du festival

Le Festival Bipod, qui aura lieu cette année du 13 au 29 avril, ouvrira ses portes à ‘Citerne,’ un nouvel espace mobile de 1000 m2 spécialement conçu à Mar Mikhael, Rue d’Arménie, pour les performances de danse contemporaine locales et internationales, mais aussi pour les concerts, productions théâtrales et différentes formes artistiques. Une fois le festival achevé, cette structure serait idéalement déplacée et remontée ailleurs. BIPOD 2017 présenterait alors la phase première annonciatrice de l’implémentation de Citerne Beyrouth, en espérant que ce projet attire l’attention des institutions locales artistiques et culturelles, ainsi que les donateurs privés et publics.

De plus, Maqamat organisera dans le cadre de Bipod la 6ème édition de Moultaqa Leymoun du 21 au 23 avril, présentant 20 artistes de différents pays arabes, afin de promouvoir la danse sur le plan local ainsi qu’au niveau des pays arabes.

Mia Habis, chorégraphe et directrice artistique de Bipod et de Moultaka Laymoun relate sa passion pour la danse ainsi que le lancement de la 13ème édition du Festival Bipod qui accueillera cette fois des companies en provenance de la Suisse, de l’Espagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la Suède. 22 performances, 7 ateliers, 2 expositions et plus de 100 artistes incorporant rêve, changement et responsabilité sous différentes perspectives.

 

Entretien avec Mia Habis

Mia Habis, Directrice Artistique de BIPOD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment décririez-vous votre passion pour la danse?

Ma passion pour la danse a commencé très tôt; j’avais trois ans et en fait j’accompagnais ma mère qui avait emmené mon frère aîné à son cours. Au lieu d’attendre sagement qu’il termine, j’ai participé à la danse ‘comme les grands.’ J’étais complètement facinée par la danse. Ma facination a continué longtemps, jusqu’à maintenant. J’ai commencé avec la danse classique qui s’est étalée sur 28 ans puis très tard, je me suis lancée dans la danse contemporaine. Cependant, là où le classique s’impose, j’y ai recours. La danse classique est un parcours de discipline et d’exigence. Elle forme une certaine détermination, à force de patience, de temps et d’humilité. Elle ne constitue pas la seule base ultime et nécessaire pour danser, mais elle pourrait faciliter beaucoup de choses ultérieurement ou bien, au contraire, ne pas le faire dans certains cas. Entre classique et contemporain par exemple, il existe une grande différence et ce rôle là est donc à double tranchant.

 

Comment être passée de la danse classique à la danse contemporaine?

Pour moi, la danse c’est quelque chose d’organique qui existe en moi et non pas à côté de mon être. Mon corps a senti le besoin de passer à une autre expérience. De plus, les spectacles de danse classique diffèrent beaucoup de ceux de la danse contemporaine de par les différents moyens d’expression. Je sentai à un moment donné, qu’en danse contemporaine, il existait beaucoup plus de choses à dire, faire ou découvrir. Cependant, rien ne s’est produit du jour au lendemain. Cela a été une longue transition pour moi. Une fois toute décision prise, il ne faudrait pas sous-estimer le facteur temps.

 

Serait-ce une longue déconstruction à entreprendre?

Certes il existe une déconstruction mais aussi une longue reconstruction à entreprendre et voilà le plus difficile: savoir quoi construire à nouveau et trouver sa voie dans la danse contemporaine qui propose tellement de possibilités et d’univers différents. C’est un genre de danse qui se rapproche aussi beaucoup du personnel parce qu’il s’agit de savoir qui rencontrer, avec qui entreprendre un projet, quoi dire. Finalement, il faudrait bien faire ses choix.

 

Quel serait l’apport de la danse dans votre vie, comment la définiriez-vous?

La danse pour moi relève de l’expérience. Elle est en moi. Je la perçois comme des experiences qui évoluent et comme une nécessité. Pour moi, la danse classique est devenue statique à un certain moment; un art à contempler dans les musées. Personnellement, j’envisage la danse comme quelque chose d’organique évoluant parallèlement à mon existence. C’est cette évolution qui m’a emportée vers la danse contemporaine et qui m’emportera encore vers d’autres expériences. Je suis ouverte à toutes les opportunités que la danse peut m’offrir. De plus, le côté ostentatoire ne m’intéresse pas outre mesure. La priorité demeure pour moi d’avoir un impact sur mon vécu, le fait d’être dans un certain moment relié à un certain contexte, que ce soit sur scène ou en plein dans la programmation en suivant une certaine thématique. La danse mûrit avec moi. Dans l’avenir, j’espère que je serai toujours en train de danser et je m’imagine être dans le questionnement, la recherche autour de la danse et en proie à l’étonnement, dans tout ce que j’accomplis ou j’observe. Ma motivation est d’avoir un vécu qui nous enrichit, nous grandit, nous ouvre l’esprit, nous fait poser des questions et nous remet en question…

 

Pourriez-vous partager avec nous vos débuts avec Omar Rajeh?

J’avais arrêté la danse classique et je venais d’achever mes études universitaires. C’était une période transitoire de questionnements où je me demandais si je ne devais pas voyager et passer des auditions à l’extérieur. Le hasard fait bien les choses parfois; Omar cherchait une danseuse pour sa nouvelle création à l’époque: ‘The Assasination of Omar Rajeh.’ Depuis, j’ai commencé à travailler avec lui. On avait beaucoup de discussions autour de la danse: ‘qu’est-ce que la danse, comment la danse…’ Tous ces sujets-là m’ont ouvert les yeux sur beaucoup d’idées. J’ai également réalisé que la structure de Maqamat, créée par Omar, pouvait offrir une vie professionnelle à des danseurs, les encourager et leur faciliter des possibilités pour ne pas laisser tomber leur art… C’est ce qui s’est passé pour moi. Après le spectacle j’ai commencé à travailler par moi-même, à comprendre de quoi est constitué le monde de la danse contemporaine. Je suis allée au-delà de moi-même en tant que danseuse jusqu’au fin fond du fonctionnement des choses. Cette énorme découverte m’a complètement passionnée. Voilà comment petit à petit, on a continué à travailler ensemble, Omar et moi, à développer les concepts et réfléchir.

On a aussi trouvé une vision commune pour la danse contemporaine au Liban, de par l’approche artistique et scénique en tant que chorégraphes. Je me suis retrouvée tout au long de ce processus. Maqamat pour moi est un grand challenge mais aussi un grand bonheur.

 

Serait-elle donc une relation fusionnelle?

Je ne saurais la définir de cette façon-là. Ma relation avec Omar a commencé avec la danse. Ce fut un ciment pour notre relation. Je pense que l’on ne peut pas faire autrement. Sans danse, rien n’aurait été possible. C’est la danse qui nous a connectés et qui continue à le faire. On est très similaires et très différents à plusieurs niveaux. Ce travail de longue haleine que l’on entreprend ensemble fait partie de nous. On est des danseurs à la base; des artistes et des programmateurs. On a cette essence commune, suffisante pour notre cheminement ensemble. Cela ne peut être conçu autrement.

 

Listen & Watch -Cie 7273

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelle serait votre vision de la danse contemporaine au Liban?

Je trouve qu’on est très chanceux en tant que Libanais parce que l’on vit dans un pays où le contexte foisonne, est toujours remis en question et n’est jamais confortable. Cette situation ne serait certes pas facile mais elle pourrait encourager les passions et tester la détermination des artistes. Je demeure très optimiste malgré la difficulté de la situation parce que les Libanais ont le sang chaud. Ils sont tenaces et persévérants. On vit dans un pays très riche, on a beaucoup de qualités et j’ai la certitude de voir plus de gens encore adopter ce chemin. Je garde l’espoir que les projets, les festivals, le citerne -théâtre qu’on est en train de produire, seront une invitation aux jeunes pour participer à ce projet.

 

Dans un pays où tout risque de basculer à tout bout de champ, d’où tenez-vous cette détermination à ramener des artistes de l’extérieur?

Tout est un challenge. Nous avons beaucoup de défis à relever, notemment financièrement. Cependant, le festival a su bâtir une certaine réputation; il est maintenant reconnu aussi bien à l’international que régionalement et localement. Les artistes lui accordent maintenant une grande confiance. Parlant de pays à risque, en 2012, des tremblements de terre se produisaient à Beyrouth et les vols de certains avions étaient annulés. Mathilde Monnier, une des plus grandes chorégraphes Françaises se trouvait dans une quasi impossibilité d’arriver à temps. Son équipe et elle ont dû prendre plusieurs correspondances afin d’être là juste avant le spectacle… Celà fut pour nous une énorme récompense et un grand honneur. La détermination des artistes, du public, de l’équipe, des partenaires est un élément clé contribuant à la réalisation du festival.

Le Poids des Éponges -Cie Alias

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment le festival Bipod a-t-il évolué au fil des ans?

Le festival a commencé en 2004 avec trois ou quatre companies et 400 personnes, alors que plus tard, il est des éditions où il avait atteint 7000 personnes en 2 semaines avec 30 spectacles et 150 artistes. Cela s’est aussi passé organiquement. Omar Rajeh avait débuté son spectacle en 2002; ‘Beyrouth jaune,’ avec 70 spectateurs, et puis après cela a évolué en salle comble. L’équipe est partie en tournée et Omar s’est alors rendu compte que le terrain était à explorer. Cela se passa de la même façon pour le festival. De plus, en 2004, les Libanais avaient un besoin d’assister à des spectacles de danse. De nos jours, le public est exigeant. Voilà qui nous motive aussi; chercher à offrir aux spectateurs une qualité artistique.

 

Qu’en est-il des critères de la sélection des artistes?

La sélection des artistes est un long processus. J’ai déjà ma sélection pour l’année prochaine. Nous avons la chance de repérer certains artistes au cours des tournées, mais parfois, ils sont déjà réservés. Avec le temps, un concours de circonstances nous permet des fois d’inviter certains artistes. Les centres culturels et les ambassades nous offrent leur support. Nous sommes toujours à la recherche de sponsors par contre, d’année en année.

 

Pourriez-vous nous renseigner sur les activités autour du festival?

Les activités autour du festival sont également aussi importantes; Moultaqa Leymoun qui présente des artistes du monde arabe, ainsi que des discussions, des expositions, voire celle de Pina Bausch à Berlin qui n’avait jamais voyagé auparavant. Une partie extraordinaire de l’exposition sera donc à la Galerie Tanit, avec Lutz Förster qui sera présent lors de l’inauguration de l’exposition. Cette année, grâce à Citerne, nous aurons des ‘after event’ qui permetteront aux spectateurs de discuter des représentations et de partager leurs experiences autour d’un verre. Le théâtre est effectivement un lieu d’échanges, de partage de rêves, de rencontres d’artistes…

 

Lutz Förster

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En quoi consiste ‘Citerne?’

Citerne est la grande nouveauté à annoncer. Après la création de Maqamat, de Bipod, Citerne a été créée. C’est le plus grand projet de Maqamat avec le festival. Ce théâtre est construit et démonté aussi en deux semaines. Il est mobile et constitue un lieu de rencontre. Nous espérons pouvoir trouver des donateurs afin de pouvoir le reconstruire et le garder.

Quelle serait l’idée principale de ce festival?

L’idée principale de cette édition rejoint celle du poster: la tête dans les nuages, les pieds sur terre, mais en train de danser… on peut rêver -et réaliser ses rêves-!

 

 

-Marie-Christine Tayah

 

‘J’ai tendu des cordes de clocher à clocher; des guirlandes de fenêtre à fenêtre; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse.’ -Arthur Rimbaud