Arts Scéniques Théâtre

La personne derrière ‘Persona Productions:’ Marie-Joëlle Naim Zraick

*Interview 

Passionnée de littérature, de philosophie et de théâtre, Marie-Joëlle Naim Zraick se lance corps et âme dans une aventure: ramener des pièces de théâtre ‘de qualité’ de France à Beyrouth. Fidèle du Festival d’Avignon et ayant suivi plusieurs ateliers de théâtre à Paris, elle décide il y a deux ans, d’adopter le monde des mots et de la scène. Le secret de Persona Productions? La qualité, certes, mais surtout, cette envie de poursuivre sa passion, de croire encore à l’excellence, et surtout surtout, à la magie du théâtre.

‘Un Fil à la Patte’ est une pièce de Georges Feydeau, mise en scène par Anthony Magnier, ayant remporté deux prix au Festival d’Anjou: le Grand Prix du Jury ainsi que le Prix du Jury Jeune. Présentée par Persona Productions, Liban et la Compagnie Viva, France, cette pièce se tiendra le 28, 29 et 30 avril 2017 au Théâtre Al-Bustan. *Réservations à la Librairie Antoine, antoineticketing.com.

 

Un Fil à la Patte: synopsis

Afin de se marier à une riche héritière, Bois d’Enghien fait tout pour se débarrasser de sa maîtresse, une chanteuse de café-concert scandaleuse, Lucette Gautier.
De lâchetés en mensonges, il s’enfonce dans une situation inextricable qui permet à Feydeau de convo- quer une pléiade de personnages cocasses et décalés. Sans tomber dans les facilités du vaudeville, les neuf comédiens de la Compagnie VIVA donnent un coup de fouet vivifiant à l’un des plus grands succès de Feydeau.

 

Quelle envie a été à la base de Persona?

C’est un projet que j’ai créé pour joindre mes deux passions; le théâtre et la francophonie. En enseignant, j’ai réalisé que le niveau de français n’était plus le même. J’ai poursuivi un DEA en études théâtrales en France ainsi que des cours de théâtre dans un conservatoire à Paris. Ce projet est ma manière de faire un pont culturel entre la France et le Liban par rapport à la langue et à la qualité du théâtre. Je n’accueille au Liban que des coups de coeurs. Après avoir assisté à des pièces de théâtre à raison de cinq par jour, au Festival d’Avignon, je me suis décidée à en ramener une au Liban.

 

Quels sont les critères de sélection?

Je suis très sensible au jeu des acteurs et au texte évidemment, ainsi qu’à la mise en scène, qui doit être forte et différente. Un vrai acteur est tellement naturel que son jeu devient le personnage; on oublie qu’il joue. Le tout fait que l’on voyage et oublie qu’on est assis sur un siège entre quatre murs. On sort de la pièce et on se dit qu’on a été ailleurs. On est à une époque de zapping, et on est tellement moins concentré, moins patient, dans une période de rythme. Les jeunes au théâtre sont un bon échantillon d’évaluation. On s’ennuie malheureusement au théâtre de nos jours quand on n’est pas dans l’excellence. Cela fait toute la différence… Je crois au talent d’acteur, oui, mais cela ne suffit pourtant pas. Un bon résultat exige beaucoup plus de travail, d’expérience, de répétitions et d’exigence.

 

Quel est le moteur de Persona?

Persona est un mélange de travail et de passion. Sans passion, on ne peut pas aller très loin; on s’ennuie et on ennuie les autres. Sinon on en reste à l’aspect commercial. La passion c’est l’énergie et le tremplin, surtout dans les domaines de culture et d’art. Dans un pays où il n’existe pas des structures de supports culturels et artistiques, il faut beaucoup d’énergie pour y croire malgré les obstacles.

 

Qu’est-ce qui vous a aidée à franchir le cap et créer Persona dans un pays instable?

C’est mon mari qui m’a poussée à le faire. Il savait que j’étais passionnée de théâtre; j’allais très souvent en France pour voir des pièces et suivre des stages. J’étais un peu comme nous tous déçue par l’état du pays et du domaine culturel. Je trouvais refuge en France. Il me propose de faire un pont entre le Liban et la France. Je ne voulais pas me lancer dans du commercial et je doutais du gout du public libanais. Je me lançai dans cette aventure en février, il y a deux ans avec ‘Le Porteur d’Histoires.’ C’était une pièce qui m’avait beaucoup émue. Ce projet pilote a réussi avec un succès fou. C’était magique. Tous les signes constituaient des preuves que j’étais sur la bonne voie. Actuellement, on est dans la durée; ‘Le Fil à la Patte’ est le dixième spectacle de Persona. Au fait, les retours des spectateurs m’ont encouragée à continuer ainsi que leurs messages de soutien. Le défi demeure maintenant d’agrandir ce réseau de spectateurs.

 

Qu’en est-il de la chasse aux sponsors?

Je ne suis pas très douée pour cela mais nos sponsors sont des partenaires qui croient à des projets culturels de qualité. On espère qu’il y aura plus de support de la part d’entités sensibles à cette même cause. Je me permets de les citer: Bankers notre sponsor principal sur l’année, Renault, Slowear, une marque de vêtements italienne, l’agence Fly High, le G-SPA, Birkenstock et l’imprimerie Mediaform. Je tiens à remercier surtout encore l’Institut Français. Les autres sponsors dépendent des projets.

 

D’où vous est venue l’idée du nom, ‘Persona?’

Persona en latin, c’est le masque, qui est à l’origine même du théâtre. De plus, chez Jung, persona est le masque social. Le masque est très lié au théâtre puisqu’il est lié à la société, et puis au niveau de la sonorité c’est un beau nom.

Votre philosophe préféré?

Jung, Levinas.. Mon mémoire de lettres se basait sur le concept entre philosophie et littérature. Quelque part quand on a de vraies passions, on les retrouve dans tout. Elle demeurent à la base de notre personnalité. C’est la clé pour avoir de l’énergie et être épanoui dans ce qu’on fait.

 

Votre auteur préféré?

Albert Camus; il détient un mélange de puissance et de simplicité. Son style est épuré, très simple mais n’est surtout pas facile à imiter. De même pour ce qui est de l’art de l’acteur et de tous les arts, quand on arrive à un niveau très élevé, l’effort pour en arriver à ce but n’est plus perceptible.

 

Votre slogan?

Rester fidèle à ce qu’on est… authentique.

 

Cela existe encore! (merci)

Bien sûr que cela existe, mais les personnes authentiques sont les personnes que l’on entend le moins. On a l’impression que c’est rare mais chacun à sa petite échelle fait les choses. Mais on vit dans un monde où c’est l’image qui fait de l’effet. Ceux qu’on entend sont ceux qui jettent de la poudre aux yeux. Cela va de même pour les personnes qui font du bien. On se demande à quel point ce monde est horrible vu que le mal est mis en relief. Mais je pense qu’il y a beacoup de bien accompli sans être entendu. Les gens qui font du bien ne sont ni médiatisés ni vus parce qu’ils ne le crient pas sur tous les toits… mais ils existent. Je pense qu’il faudrait se tourner vers ces gens-là pour faire retrouver l’équilibre.

 

Votre message?

Ne vous laissez pas aller à la facilité. Retrouvez l’exigence. Surtout par rapport au théâtre, quand le sujet n’est pas difficile, on a tendance à s’y rendre. Si c’est une pièce ou n’importe quelle forme d’art de qualité, même si le sujet est difficile, donne de l’énergie. Le plus grand exemple c’est le spectacle ‘Les Chatouilles;’ une femme devenue danseuse pour s’en sortir parce qu’elle a été abusée quand elle était petite. Je n’ai pas hésité une seconde à ramener ce spectacle au Liban et transmis dans la communication de venir même si le sujet semble rebutant. La pièce a eu un succès fou. Quel que soit le sujet, la magie de l’art le rend beau. J’y crois.

 

-Marie-Christine Tayah

 

 

Un Fil à la Patte: Note d’intention du metteur en scène Anthony Magnier

POURQUOI LE FIL ?

Car Feydeau nous fait rire de ce qui nous terrifie. Il met en scène les bassesses et les médiocrités humaines, ces endroits retranchés dans lesquels les hommes et les femmes se réfugient lorsque les situations les dépassent. Feydeau met ses personnages au pied du mur, ils n’ont d’autres choix que de devenir féroces les uns avec les autres. Et c’est cela qui agit comme une déflagration comique. Pas de grandeur chez Feydeau, ses personnages balayent toute morale, toute éthique, toute valeur pour leur propre intérêt. Et s’il situe ses pièces dans la haute société de la Belle Epoque, ce n’est que pour nous montrer que qui que nous soyons, notre féroce nature animale peut nous rattraper si nous n’y prenons garde.

L’intention est simple, pure, directe: Rire et faire rire.

« Quelle merveille ! » Voilà la réflexion qui vient tout de suite après la lecture d’un Fil à la Patte. Une merveille comique. A la fin du 19ème siècle, le théâtre français atteint un point de per- fection rare, on sent que les siècles précédents s’y retrouvent et s’épanouissent. Le théâtre est devenu un art extrêmement courtisé et la rivalité entre auteurs fait rage. Mais Feydeau semble naviguer entre ces feux avec une facilité déconcertante. Est-ce sa précocité, son travail acharné, son détachement parfois, la quête de la gaieté qui contraste avec la noirceur de ses nuits qui fait l’immensité de son talent? Sûrement tout cela. Comment ne pas y voir alors un écho à la célèbre devise que les comédiens italiens accrochaient au frontispice de leur théâtre : « Castigat Ridendo Mores » (la comédie châtie les mœurs en riant).

Le jeu: Monter une pièce de Georges Feydeau, c’est choisir un génie comme collaborateur. Mais il faut savoir lui rendre hommage. Feydeau demande précision, rythme, et surtout un engagement total dans les situations -rien de plus attristant que de voir un Feydeau où les comé- diens prennent les situations à la légère, pensant faire rire- Non! Feydeau demande plus que ça, il nous livre une machine parfaitement construite, équilibrée, où il n’y a rien à enlever, ni à rajouter. Mais cette horlogerie comique ne tient que si les comédiens y mettent une totale sincérité et un intense engagement émotionnel.