‘Où ai-je posé sur une plage, en maillot de bain à pois, recroquevillée devant une horde de paparazzis […]Où ai-je aimé par flash ou pour longtemps? Où ai-je ri, douté, pleuré et rencontré mon avenir? Mais à Cannes, au Festival de Cannes, le seul, l’unique! […] Prisonnière devant les écrans, dans la nuit de mes fantasmes, j’ai pu échapper à la ‘comédie des erreurs,’ à la ‘foire aux vanités’ et aux questions des journalistes. […] Clown blanc de service pour le 50ème anniversaire du Festival de Cannes, j’ai eu l’honneur d’appeler sur scène les Palmes d’Or. Dos au public, j’en tremblais d’émotion, j’en tremble encore.’
Jeanne Moreau, présidente du jury du Festival de Cannes en 1975 et 1995
Cadre idéal d’échanges entre artistes, producteurs de films, techniciens, directeurs et distributeurs, le festival de Cannes est au coeur même du combat pour la diversité et la culture. Son histoire est faite de rebondissements. Si cet événement mondial est un festival de paix, il a dû lutter -et combien de fois!- pour détrôner l’adversité, détourner les attaques, repartir à pas ferme de résilience… et d’espoir. En recadrant les dates clés qui auraient pu avoir raison du temps et de tout, le festival du film renaît mille et une fois, mille et une nuits et palmes d’or, de ses cendres. Il chante avec les rebelles, les épris de la culture et du septième art, rejoint le septième ciel avec les stars et rend hommage aux tsars du cinéma. Pour la 70ème fois, il est couronné de Lumière et d’étoiles.
Au tout début, était le commencement…
Tout avait effectivement commencé le 3 septembre 1938 à la Mostra de Venise où Philippe Erlanger représentait le gouvernement français. Le prix du jury subit des pressions de l’axe Rome-Berlin et au lieu de primer un film américain fut décerné aux Dieux du Stade. Or ce film documentaire de Leni Riefenstahl n’avait pas droit aux termes du règlement vu que c’était un film documentaire. Les américains et les anglais indignés, attestèrent qu’ils ne reviendraient pas à Venise.
C’est alors que Philippe Erlanger eut l’idée de créer en France un festival modèle, celui du ‘monde libre.’ Ce n’est qu’après qu’Hitler eut occupé Prague au printemps que la décision fut approuvée par le gouvernement. Entre Biarritz et Cannes, ce fut Cannes qui l’emporta comme ville siège du festival. Philippe Erlanger devint alors le premier Délégué Général du festival. Le père du cinéma Louis Lumière fut nommé président d’honneur.
Vicissitudes et rebondissements
Une date à ne pas oublier
1939 était la première date prévue pour le Festival International de Cannes. Tout est prêt pour le lancement: le programme, l’organisation, les invitations et l’affiche du festival du peintre Jean-Gabriel Domergue… La grande parade fut inaugurée au mois d’août… et pourtant, le festival devant se tenir du 1er au 20 septembre 1939 n’a pas lieu.
La cause n’est ni un problème financier, ni opérationnel, ni organisationnel mais plutôt une calamité irrémédiable attisée par la convoitise des États: la guerre.
Le nom du festival brillait déjà de mille feux malgré les menaces de guerre, quand les feux de folie des hommes vinrent l’éteindre. Deuxième Guerre Mondiale. Après avoir détruit les âmes, elle était venue s’en prendre aux vingt-quatre marches d’accès à la ‘Lumière.’
Les tout premiers pas
Philippe Erlanger ne perd pas son projet de vue. Malgré les sept ans de conflit qui s’en suivirent, son rêve est toujours là. En 1945, de retour au Ministère des Affaires Étrangères, il l’imposa. Le 20 septembre 1946, le premier festival s’ouvrit. Les projections eurent lieu dans le hall du Casino Municipal improvisé en salle de spectacle. À la surprise générale, 21 nations répondent à l’appel et Cannes fut subitement transformée en capitale du cinéma. Les films présentés étaient remarquables et certains, à l’instar de Roberto Rossellini, tels que ‘Rome ville ouverte,’ offraient un nouveau langage cinématographique et constituaient un tournant décisif du cinéma d’après-guerre.
Le Festival de Cannes et le Centre National de la Cinématographie ont évolué en parallèle depuis 1946. Le Centre avait au premier chef la mission de reconstruction du secteur cinématographique français face à un géant américain écrasant. L’ironie du sort ou l’ouverture culturelle voulut pourtant que la Palme d’Or, inventée en 1955 soit décernée pour la première fois à Delbert Man des États-Unis pour Marty.
Lever de rideau et feux d’artifice. Grace Moore chante ‘La Marseillaise.’
Lorsque le Festival International du Film s’est déroulé à Cannes en 1946, il fut de suite considéré comme le Festival de la Paix retrouvée.
‘L’argent fait tout.’
En 1948, faute de crédits, et en 1950, ‘le Palais’ n’étant pas complètement achevé au moment convenu, le Festival n’eut pas lieu. En février 1950, une manifestation organisée par la Ville de Cannes et baptisée ‘Semaine du Cinéma International’ eut lieu mais elle constitua en fait un pont entre le Festival de 1949 et celui de 1951 qui change de saison, choisit le printemps, et se veut plus frivole au mois d’avril. Starlettes, maillots de bains, robes du soir et chevaux sur la Croisette. On se croirait dans un film… Il est à noter que le Palais des Festivals aussi appelé Palais Croisette, après avoir été inauguré en 1949 aura été détruit en 1989.
Les années glorieuses
1960 connaît l’ouverture du premier marché.
En 1962, la Semaine de la Critique est inaugurée.
En mai 68, le festival fut interrompu… pour une cause!
François Truffaut et Jean-Luc Godard s’accrochèrent aux rideaux du Palais du Festival pour empêcher son déroulement, jugé trop conventionnel pour les jeunes contestataires de l’époque. Pendant ce temps, sur la plage, Roman Polanski et sa femme Sharon Tate s’en donnaient à coeur joie et ne semblaient pas prendre part à tout ce bouillonnement. À Paris, on se bat sur les barricades. Le 21ème festival est déclaré clos le 19 mai à midi. Truffaut et Godard avaient fini par avoir raison des rideaux et des feux de la rampe.
En 1969, la Quinzaine des réalisateurs est lancée comme conséquence de 1968 et montrera un éventail de films non retenus officiellement.
Durant la fête des fleurs de la ville de Cannes, Grace Kelly lança des bouquets à la foule sur la Croisette. À partir de 1969, le festival connut de plus en plus un nombre important de visiteurs, ce qui entraîna son transfert dans un plus vaste bâtiment en 1981. Une fois récompensés ou projetés à Cannes, les films profiteraient d’une exposition critique et commerciale sur le plan international.
En 1975, Maurice Bessy crée la section Les Yeux Fertiles, puis la section l’Air du Temps devenant plus tard Un Certain Regard –(section) qui attire le plus l’attention de la presse.
En 1976, la section ‘le Passé Composé’ naît. Elle comprend des films de montage, des archives de journaux ou extraits de films de fiction.
1997 est une date à retenir; c’est le cinquantième anniversaire du Festival et ‘La Palme des Palmes’ est décernée à Ingrid Bergman par toutes les Palmes d’or présentes à Cannes.
En 2002, le Festival International du Film prend officiellement l’appellation de ‘Festival de Cannes.’ Référence cinématographique au plan mondial, créé pour contrecarrer le festival de Venise, le festival affichait pourtant sa volonté d’ouverture sur le monde, reflétée en premier par le prix à Billy Wilder pour The Lost Week End. Une vision qui se concrétise avec la projection d’Apocalypse Now pour la première fois, en plein air, en 2002. Gilles Jacob, président du festival en ce temps-là, atteste, dans une entrevue avec Marie-Claude Arbaudie, Rédactrice en Chef du Film Français (en temps-là): « Tout en restant évidemment le festival des professionnels, nous voulons associer, autant que faire se peut, le public à la fête et qu’il ne soit pas qu’un badaud frustré. Ainsi, nous allons inaugurer pour lui une nouvelle salle: la Salle des sables -en fait la plage publique Macé (face au Majestic) -qui sera aménagée et dont l’écran sera planté dans la mer. Y seront présentés trois films majeurs de Jacques Tati, les courts métrages en compétition et d’autres encore.’
Cannes a 70 ans!
Du haut de ses vingt-quatre marches, 70 fois où se serait déroulé Le tapis rouge, Le Festival de Cannes demeure la manifestation cinéphile la plus prestigieuse du monde. Cela aurait risqué ne plus être, car en 1969, Georges Cravenne et Favre le Bret avaient remis en question la ‘tenue de soirée’ -entre autres- qui pourrait rappeler l’establishment. Cependant, Favre le Bret opta pour le smoking, le Festival de Cannes se démarquant ainsi de celui de Venise par son laisser-aller vestimentaire, qui lui avait beaucoup nui par ailleurs.
Pendant la durée du festival, Cannes vit dans une bulle, séparée du monde entier, sauf pour ce qui concerne le cinéma… Suspense, passion, émotion, rires et larmes, toutes émotions brutes, humaines ou animales, régissent les coeurs et habitent les âmes. À Cannes, l’amour du cinéma est roi dans sa simplicité. La ville entière vibre au rythme des musiques de films, des affiches et des palmes. Les stars laissent leurs empreintes sur les dalles du parterre, les anciennes caméras décorent les rues, les affiches de cinéastes et d’acteurs font les murs et les habitants de la ville, cinéphiles par excellence, parlent films plutôt que politique. Le cinéma, de par son témoignage de vie, ne serait-il pas une des causes les plus humaines?
-Marie-Christine Tayah
