Littérature Poésie

Luciano Rispoli et les “mots”; tout se dessine en lumière… “Je n’ai jamais su de quoi on meurt”.

“Je n’ai jamais su de quoi on meurt”, écrit-il. Né en 1967, Luciano Rispoli est homme de média et diplomate français, juriste et politologue. Après un riche parcours international, il est nommé conseiller à la représentation permanente française à l’UNESCO, à Paris. Son premier livre, paru chez les éditions Noir Blanc Et Caetera, dessine les émotions humaines sans jouer aux super héros. Et pourtant. Il possède tous les outils artistiques et culturels pour faire partie des artistes ‘surhumains.’ Photographe, écrivain et illustrateur, il se détache des sentiments enchevêtrés et des douleurs de l’être pour céder la place aux souvenirs et laisser faire le temps, dans un souffle d’optimisme. Le temps est maître de tout. Des tourbillons humains, de l’enlacement des corps, du détachement des âmes en aimant “plus”, d’une dimension universelle. Chaque mot est un cliché photographique. Chaque syllabe un murmure ancré. Tout y est. Cru. Vulnérable. Dénudé. Humain. Un style propre à lui. Des illustrations ‘noir sur blanc’. Des envolées de poète. Une lucidité d’homme face aux tumultes des guerres individuelles, relationnelles et territoriales. Et dans tout ce vécu perçu à petites traces de crayon, Luciano Rispoli persiste à sublimer le noir et à “photographier la lumière”.

Vous écrivez en prose poétique. Qu’est-ce qui serait prépondérant dans votre écriture; les rimes, les vers, les syllabes ou le sens?  

Le désir d’écrire s’empare du réel et impose à la fois le sens et la rime éventuelle. La priorité est donc à la nécessité ressentie de coucher sur du papier des mots qui semblent venir en désordre mais qui finalement expriment à la fois un sens, un rythme et une dynamique. La prose n’est pas un souhait à priori mais une évidence qui vient sous la plume.

Pourquoi avoir choisi ce genre littéraire précisément? (et pas un roman par exemple bien qu’il y ait un enchaînement d’idées… et de thèmes)  

Quand le désir d’écrire vient, il impose tout, c’est à dire le fond et la forme. Je ne me suis pas voulu plus poète que romancier mais j’ai répondu à la brutalité de cette exigence qui est de mettre des mots sur des histoires vécues et des impressions ressenties. Ces textes datent déjà et n’ont été finalement que peu retravaillés pour la publication. Entre le désir d’écrire et celui de partager, il peut se passer une vingtaine d’années… Les mots, les textes, sont venus sous cette forme particulière sans doute parce que depuis l’enfance je suis accompagné par la lecture de poésies; mais je travaille aussi à d’autres formes d’expressions, écrites, notamment. Je tente par exemple de raconter des moments d’un séjour de deux ans en Irak, de 2013 à 2015, où j’étais en poste. Un séjour au cours duquel cohabitaient l’extrême bonté et la violence la plus féroce. J’ai eu la (mal) chance (allez savoir) d’en être témoin. 

‘La la la la- tête tête tête tête’… Est-ce des mots qui reviennent à tue-tête, pour tuer le temps ou pour briser les cadres, tout simplement ?  

Il est ici question surtout de raconter le rythme de la répétition et de la reproduction du modèle tout en interrogeant finalement la raison de ces gestes que l’on dit sacrés.
Écrire ou dessiner. (Ou même photographier.) Est-ce une pulsion de vie? Pourquoi maintenant? J’ai toujours eu le désir d’écrire et m’exprime beaucoup ainsi. J’écris à mes proches et à mes aimés. La pulsion de vie se manifeste sans doute dans le désir de partager plus que dans celui d’écrire, de dessiner et de photographier. Cette étape est un tournant dans la vie. Elle n’est pas liée à un âge mais plutôt à un contexte général de vie que chacun peut rencontrer, ou pas, n’importe quand.

Qui seraient vos artistes source d’inspiration?

Incontestablement les poètes. Et notamment Baudelaire, Verlaine, Apollinaire, Antonin Artaud qui écrivait cette phrase sublime : “Il n’y a de mort complète que pour qui prend le goût de mourir” (L’ombilic des limbes – 1925). 

‘Le temps qui passe est un déclin inégalé.’ Est-ce que les mots pourraient empêcher ce déclin?   

Le temps qui passe loin des êtres aimés est un déclin que rien ne peut combattre. Il faut donc trouver la force d’aimer toujours, d’aimer de nouveau, d’aimer de neuf, j’ai presque envie de dire de sang neuf, d’aimer de sang froid, avec une furieuse mais calme détermination. Ce sont des histoires de vies dont chacun de nous fait l’expérience. Et cela ne porte pas que sur l’amour amoureux, sans doute le plus beau et le plus destructeur à la fois, mais aussi sur l’amour de soi-même, sur l’amour que je ressens envers mes fils, sur l’amour que je reçois et partage comme fils et frère. La lueur est toujours présente. Ecrire et partager c’est tenter de ne pas le perdre de vue. ‘Photographier la lumière.’ Que sont les petites lumières de tous les jours?  Elles sont justement mes photos. La photographie c’est très exactement de la lumière. La photographier c’est la montrer, la partager, la rendre intense pour d’autres autant qu’elle l’est pour moi.

‘De quoi meurt-on? Mais de tout! De solitude et de silence.’ Que serait la vie alors si l’on ne ferait que mourir de tout?  

Mais on meurt effectivement de tout ! On meurt de vivre déjà. On meurt tout à la fois des joies que des peines, du temps qui passe comme de celui que l’on n’oublie pas. On meurt d’être vivant. C’est une banalité de le dire ainsi, mais on meurt de tout et tout le temps. En attendant que ces petits tas de toutes ces choses tuent, nous vivons.

‘Le souvenir de tendresses évitées’. Éviter les tendresses alimenterait-il l’inspiration?  

La question de l’inspiration est directement liée, dans mon cas, à celle de la mémoire, de l’absence et des traces que laissent présences et silences. Croyez bien qu’il y a des inspirations dont je me passerais volontiers ! C’est à dire les absences, les peines, les retraits et les refus avec lesquels j’ai cependant appris à vivre, comme tout le monde. Nous ne pouvons pas éviter les désertions de ceux que nous aimons et nous ne pouvons que vivre avec. Elles sont constitutives de notre être, malgré nous et nous guident vers cette mort certaine qui nous accueillera, transformés de fond en comble entre la naissance et la mort, surtout par les départs de celles ou ceux que nous aimons ou que nous avons aimé. N’allez pas croire que je sois morbide ou dépressif. C’est tout le contraire. Je pose simplement le constat suivant ; tout nous tue. Mais à des rythmes différents. 

‘Celle que je croyais connaître… tellement différente de toi aujourd’hui.’   

Chacun peut se reconnaître dans ces mots, non ? Dans tous les cas, elle se reconnaîtra…

Quant à la ‘pieuvre.’ Ne serions-nous pas tous des pieuvres les uns pour les autres?   

Oui. Et réciproquement… 

‘Te suis fidèle dans cette solitude.’ Fidélité et solitude, seraient-elles inévitablement complémentaires?  

Non. Pas forcément. Je parle ici du respect que je manifestais, à mon corps défendant, pour le choix fait par quelqu’un (e)… 


‘Sans doute les cœurs parlent-ils mieux quand il n’y a plus rien à se dire et quand le temps de se taire est terminé.’ Mais alors, écrire, serait-ce pour briser le silence des mots tus?  

Écrire, une nécessité absolue, en espérant que ces mots lui parleront. C’est pour que les mots parlent et expliquent que j’ai finalement fait le choix de les montrer.

‘À toi!’ Une dédicace sans nom?   

La plus intense des dédicaces…

*Interview: Marie-Christine Tayah