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In the Last Days of the City, un film réalisé par Tamer El Said

En 2008, deux ans juste avant la rébellion qui allait se frayer une voie en Egypte, le réalisateur Égyptien Tamer El Said entreprit de filmer In the Last Days of the City.

Entre le Caire, Beyrouth et Bagdad, le monde arabe semble à le recherche d’une déconstruction de vécu, d’émotions, de briques, de trottoirs et de toitures pour pouvoir ensuite -enfin peut-être- rebâtir les murs d’un monde meilleur. Entre deux mouvements, celui de la ville bruyante et du brouhaha intérieur de Khaled, le film de Tamer El Said balance. Il nous emporte au rythme d’une poésie imagée, jusqu’au coeur même de notre essence. De questions en questionnements, le réalisateur s’embarque dans une recherche de dix ans et nous entraîne avec lui à la quête des réponses. Sur grand écran, déferlent des images, visages, mirages, révolution intérieure, départs éternels, recommencements déterminés et chemin de vie… victoire.

 

 

 

 

 

 

Un long film sur la tristesse… de quelle tristesse parlez-vous?

Je suis né au Caire, j’y ai vécu toute ma vie et je fais partie de cette région. Après un certain temps, j’ai réalisé qu’il existe une tristesse propre à cette partie de ce monde. ‘La géographie est destin,’ comme l’affirme Ibn Khaldoun. En ce qui me concerne, je ne cessais de me demander comment pourrait-on s’y prendre avec cette tristesse-là. Les villes où l’on vit sont des lieux sévères et tendres à la fois. On s’est habitué à perdre des gens, que ce soit à cause de la guerre, de la mort, de la maladie, de la répression ou de l’extrémisme religieux. On a appris à mener une guerre de résistance sur tous les fronts, qu’on soit Égyptien, Iraquien ou Palestinien… D’autant plus que la tristesse demeure une émotion très personnelle opressée par la culture de cette région où il est presque interdit d’exprimer ses sentiments, plus encore pour les hommes que pour les femmes. L’homme est fort et ne doit pas pleurer. La perception de sa force est étroitement liée à l’étouffement de ses émotions. Dans ce film, il m’était très important de souligner que les personnages -la plupart étant masculins-, sont en harmonie avec leurs faiblesses et ne trouvent aucune difficulté à exprimer leurs faiblesses. Ces caractères portent en toute aisance leur part féminine et sont loins d’être des prototypes machos. De leur côté, les femmes dans le film sont responsables d’elles-mêmes. Dotées d’une forte personnalité, elles sont productives, capables de gérer leur tristesse et d’aller de l’avant. Elles sont toutes une inspiration.

 

Comment est née votre décision de faire un film et qu’est-ce qui vous a poussé à l’action?

Il existe une grande différence entre faire un film suite à une envie ou suite une nécessité; celle de perdurer. Mon film est né d’une envie de me connaître moi-même, de comprendre mes relations avec les personnes qui m’entourent, mes sentiments, ainsi que mon attachement à ma ville et à ma famille. C’est un questionnement relié à des personnes, des odeurs, des bruits… une envie de savoir pourquoi certains m’ont quitté et pourquoi certains autres ne sont jamais arrivés à le faire… À un certain moment, il me sembla intolérable de continuer ma vie sans avoir de réponses et ce film était pour moi le chemin ou plutôt le cheminement qui me pousserait à atteindre ce but.

 

Pourrait-on jamais l’atteindre, ce but?

Je pense que ce processus de recherche ne connaît pas de fin parce que des questions mènent à d’autres. Je pourrais dire que je comprends plus à ce stade, mais je suis loin d’affirmer que je me contenterais une seule et unique conclusion. Plus on comprend les situations, plus les questions augmentent. Ce cheminement transforme le chercheur en une autre personne. À la fin du film, le réalisateur sent que le caractère qu’il s’est construit s’éloigne peu à peu de lui et il se transforme alors en quelqu’un de très différent. Mon trajet fut très long. J’ai côtoyé ce film pendant dix ans et l’instant de séparation ressemble à celui avec un ami de longue date. Il est un moment où la vérité devient irréfutable: chacun doit poursuivre seul sa route et faire la connaissance de nouvelles personnes. Ainsi en est-il du film; il devrait vivre séparément. Tout compte fait, je ne pourrais pas prétendre avoir tout compris, mais j’atteste que je réalise maintenant la richesse de la vie.

 

Qu’en est-il de la relation fusionnelle du réalisateur avec son film… comment se défaire de tout un cheminement après dix ans? Comment laisser derrière soi ce coffret d’odeurs, de souvenirs et de découvertes?

On ne se défait de rien… Ces instants ne constituent en aucun cas une lourdeur à trimballer ou un coffret à mettre sous verrous. Le film me quitte plutôt pour vivre indépendamment de moi, demeurer dans ce monde, et rencontrer d’autres personnes, comme une entité indépendante à part entière. Le film ressemble a une grande resemblance avec un être humain; il grandit, vit et avance. Les uns l’aiment, les autres le haient. Je résumerais la vraie fin du film en cet instant ou l’on finalise le ‘cut’ lors du montage. En cet instant précis, je me rendis compte que c’était la meilleure manière pour moi de réaliser ce film. Qu’importe le retour en arrière, ou la projection dans le futur, je ne pourrais pas faire mieux. L’instant où le film rencontre pour la première fois une audience est important également. Il appartient désormais aux spectateurs. Voilà pourquoi je devrais continuer ma vie tout comme il continue la sienne, rencontrer d’autres personnes et créer d’autres liens. Cet instant est aussi beau que douloureux.

 

Vu que ce film est indépendant des agendas de production, comment pourriez-vous décrire ce processus qui s’étend sur dix ans?

Pour être franc, je n’avais pas de plan en tête. Je percevais des images, des odeurs, une certaine ressemblance, mais je n’avais aucune idée comment y parvenir. J’étais à la recherche de ce processus et je pense y avoir abouti de la meilleure façon possible. J’aspirais à ce que ce film aille à l’encontre de la vie, qu’il émane d’elle, qu’il relate l’histoire de toute une ville géante et sophistiquée en deux heures de temps. Par la suite, il me restait deux options; soit suivre les exigences du film, soit l’entraîner moi-même là où je voulais. Je préférai délaisser mon égo et rester à l’écoute de ce film. Les dix ans se sont imposés sans que je m’en rende compte. Les ‘on en est presque là’ ont de loin dépassé les deux ans. Il fallut dépasser toute frustration, se soumettre à la résistance même de ce film, se plier à ses besoins, répondre à l’appel du Caire et savoir enfin quand s’arrêter. Puis, petit à petit, nous comprîmes de quoi nous avions besoin et quelles étaient nos attentes. Nous n’avions plus besoin de mots pour communiquer, le seul souci étant de préserver l’authenticité et la chaleur de la vie de tous les jours au coeur même du film. C’est ainsi que l’improvisation a fusionné avec un fond de ville pour aboutir à ce résultat.

 

De tout ce temps écoulé, quel instant vous reste-t-il en mémoire?

Ce qui me reste, ce sont les gens que j’ai croisés et les liens qui se sont tissés en chemin.  Nous sommes semblables à des guerriers s’en allant combattre côte à côte. Ces liens-là sont indestructibles. Je garde aussi en moi la confiance en le doûte. Le doûte est une nécessité nous permettant de nous poser tout genre de questions; la paresse du connaisseur demeure hors sujet. Ce genre de métier gonfle l’égo. Toutefois, ce long processus agrandissait la distance entre ce que j’imaginais accomplir et ce que j’étais concrêtement capable de faire. L’humilité devant son propre travail a une valeur inestimable.

 

Vos projets futurs?

Je suis en train de travailler sur un film décrivant notre perception de nous-mêmes face à la façon dont les autres nous perçoivent, ainsi que la distance les séparant toutes les deux.

 

 

Marie-Christine Tayah