Arts Scéniques Théâtre

Giulio Vanzan, au-delà du masque

Écouter parler Giulio Vanzan, le questionner ou assister à ses ateliers de théâtre ouvre une grande fenêtre bien verrouillée à force de moeurs et de carrés sociaux. Cependant, son monde n’est pas sorcier. Il consiste à comprendre ce qui se passe dans son fort intérieur, percevoir le personnage de clown et tous ses labyrinthes émotionnels, pousser les rideaux du monde du théâtre pour aller jusqu’à son propre point fixe et déconstruire les écorces ou les deuxièmes peaux du paraître pour atteindre sa propre âme et se reconstruire avec sa propre matière, brute, sans artifices.

Après ses deux ateliers ‘le masque neutre’ et le ‘clown’ au Théâtre Gemmayzé, avec le support de l’Ambassade d’Italie, une entrevue avec le formateur aborde le théâtre de la vie et les points fixes de nos vérités immuables d’humains… En toute légèreté, avec un vécu riche en émotions, Giulio Vanzan nous inspirerait à faire confiance au devenir… pour enfin oser être. Des propos dignes d’une contemplation.

Le tout début

J’ai commencé à travailler en tant que clown dans un hôpital il y a 15 ans, pour une association en Italie VIP Very Positive. Entretemps, je m’entraînais avec mon mentor Matteo Destro qui m’a introduit au monde du mime et au théâtre physique. J’avais 20 ans et avais décidé de faire partie de ce domaine. Depuis, je me suis donné corps et âme à ma formation théâtrale.

 

La clé de mon bonheur aujourd’hui est de voir mon groupe durant les ateliers exprimer autant de beauté, d’enthousiasme, de calme, de neutralité, d’harmonie, de brut, de bonheur, d’expériences et d’histoires en même temps.

 

Qu’en est-il de votre histoire à vous?

Ma vie d’adulte. J’ai poursuivi des études d’éducation puis ai fondé une association pour les clowns dans les hôpitaux. Je suis devenu responsable de l’association nationale de clowns pour les projets à l’étranger; la Roumanie, le Brésil, la Bolivie ainsi que des projets de cirque en Italie.

Pendant mes années universitaires, je vivais dans un centre de yoga, et formais mon esprit et mon corps. Je travaillais la neutralité, le développement personel. Puis je rencontrai un moine de yoga tantrique qui me demanda de l’accompagner au Portugal. Faisant confiance à mon intuition, je le suivis. Là-bas, je vécus avec lui dans les bois et m’entraînai sans arrêt. Ce fut une expérience de six mois aussi dure qu’exceptionnelle. Elle transforma ma vie.

Puis je voyageai au Brésil avec la UNICEF. Je travaillais également dans une ONG; IIDAC, prenant en charge la pédagogie de l’autonomie. Quand je revins, une année plus tard, je rencontrai de nouveau le moine et nous entreprîmes une autre année de formation qui consistait à voyager partout. Nous changions d’espace chaque trois jours. Cela faisait partie de la formation.

 

Le mouvement?

Le mouvement, le détachement, la confiance de recevoir le nécessaire pour vivre, l’abondance… À la fin de ce parcours, je revins au Brésil où j’entrepris un projet de théâtre avec ma petite amie à l’époque. Le projet se développa avec 400 volontaires et fut adopté par une université à Sao Paolo. Il fut désigné le Meilleur Projet Innovateur de l’année 2014. J’ai passé cinq ans au Brésil.

Entretemps, de décembre à mars -temps mort dans ce pays-, je travaillais en Italie à HELIKOS (Giovanni Fusetti et d’autres…)

 

Quelle fut la raison directe d’entreprendre ce parcours?

Durant cette période, mes parents sont décédés. C’est alors que mon processus de deuil a commencé. Vu que j’étais enfant unique, je me sentis complètement perdu et dus quitter le Brésil et abandonner mon projet là-bas afin de me ressourcer en Italie et de vivre mon deuil. J’étais émotionnellement à plat mais devais aussi m’occuper des détails logistiques et entreprendre ma thérapie en parallèle.

Pour la première fois, je vécus l’expérience d’être seul au monde; pas de parents, ni père, ni mère, ni frère et soeur, ni femme, ni enfants.

Tous mes paradigmes avaient changé et je devais réfléchir et penser les choses différemment. Personne ne peut vous apprendre comment être seul. J’ai passé environ deux ans en Toscanie au bord de la mer. Je me reconstituais, renaissais et reprenais ma vie en main. Là-bas, une décision est née: dédier ma vie à semer l’art et la beauté, enseigner la présence et le retour à l’âme. Je passai les années 2015, 2016 et 2017 à mûrir ce processus, à m’occuper de moi-même et… à recommencer…

 

Qu’en est-il de l’expérience de formation au Liban?

Il y a un an, j’atterris à Beyrouth et commençai, suite à un concours de circonstances, à donner des ateliers de théâtre. Je fis la connaissance de Simona De Martino, chargée d’Affaires de l’ambassade d’Italie, un être humain exceptionnel et puis d’Eduardo Crisafulli, attaché culturel Italien, une personne également remarquable, qui m’invita à revenir donner un atelier de théâtre au Liban.

 

Est-ce que vous croyez qu’une véritable transformation personnelle aurait pour racines la douleur?

Je cite Leonard Cohen: ‘There is a crack in everything, that’s how the light gets in.’ –Il existe une fissure en tout, voilà comment la lumière s’infiltre.-

Je crois que les vrais artistes passent par cela. Cela fait partie du voyage; se perdre pour renaître et céder la place à un phénomène plus grand qu’eux-même pour renaître.

C’est le secret de l’art qui ouvre les portes vers un nouvel univers où il serait possible d’inviter les autres… Cela pourrait être le théâtre, l’écriture, la peinture… Personnellement, j’écris des poèmes tous les jours, je filme des courts-métrages, je compose des chansons, je chante, je peins… Qu’importe le moyen artistique auquel j’ai recours, j’essaie tout simplement d’être. En étant, les choses prennent vie. Voilà le but de ma vie en un mot: être.

 

Lecoq, de qui vous vous inspirez dans vos techniques théâtrales a affirmé: ‘Il n’y a pas de mouvement sans point fixe. Si on ne le trouve pas, il faut l’inventer.’ Quel a été votre point fixe?

C’est toujours le même… Quand j’avais 18 ans et un mois j’ai expérimenté l’existence de Dieu; une expérience mystique. Je ressens une connection dans mon âme qui m’inspire quotidiennement. L’esprit de la lumière, de Dieu en moi, est ma maison intérieure, ma seule source d’inspiration et mon point fixe.

Je me demande si selon Lecoq, je suis mon point fixe ou bien il existe un point fixe pour moi à l’extérieur de moi… est-ce que notre âme est notre point fixe ou bien sommes-nous le point fixe de l’âme? Quand j’ai compris que je suis mon propre masque aussi bien que le point fixe pour mon âme, j’ai accepté d’être artiste.

 

Qui sont les artistes qui vous inspirent?

Les humbles. Ceux dont l’égo ne domine pas l’art mais ceux dont l’art est au service de leur âme. Je dirais Charlie Chaplin, la poétesse Alda Merini -internée dans un hôpital psychiatrique parce que l’on a cru qu’elle était trop ouverte à la vie, Rumi, un artiste du passé, ma mentor, Elizabeth Baron, une personne faite d’amour pur et de ‘sauvage’; elle est la personne la plus simple au monde, mais qui m’apprit comment être artiste. J’aimerais également citer Matteo Destro Giovanni et Dario Fo qui a reçu le prix nobel de la littérature en 1997, Roberto Benigni et Donato Ameleto Sartori…

 

Tout comme vous le demandez à votre groupe dans vos ateliers de théâtre, est-ce qu’il y aurait un poème qui vous vient à l’esprit?

Oh me! Oh Life! -de Walt Whitman

 

Quelle serait votre récompense ultime?

Inspirer les gens autour de moi à ressentir l’amour et à expériementer les dessous de l’âme. Je me sens un valet au service de cette mission.

 

Quelque chose à partager?

Un récit personnel; la synestésie. C’est un trouble neurologique qui peut tomber sur une personne entre des milliers. Quand on naît, les sens trouvent leur place. Dans mon cas, deux sens ne se sont jamais déconnectés; je perçois tout en couleurs. Cela est le cas de Van Gogh, Bob Dylan par exemple… Je perçois même les personnes en couleurs et chaque personne a une couleur propre à elle.

Qu’est-ce qui vous inspire le plus?

La vérité. Les personnes vraies et la simplicité. L’abondance de la vie et de l’amour… la beauté.

 

Une émotion guide?

L’ouverture à la vie.

 

Qu’est-ce qui vous met en colère?

L’immobilité. Le dogmatisme. Les esprits étroits. L’égoïsme.

 

Qu’est-ce qui vous rend heureux?

La vitalité, la générosité, l’excitation, le mouvement, le calme, la tendresse… la douceur.

 

Un seul message au monde entier?

Soyez vous-mêmes, acceptez-vous, donnez pleinement au monde et ne vous attendez à rien en retour.

 

Un dernier mot?

Viva la vita. La vie est belle.

 

*Interview: Marie-Christine Tayah

 

*Video par NAY AOUN

Oh me! Oh Life! -Walt Whitman

Oh me! Oh life! of the questions of these recurring,

Of the endless trains of the faithless, of cities fill’d with the foolish,

Of myself forever reproaching myself, (for who more foolish than I, and who more faithless?)

Of eyes that vainly crave the light, of the objects mean, of the struggle ever renew’d,

Of the poor results of all, of the plodding and sordid crowds I see around me,

Of the empty and useless years of the rest, with the rest me intertwined,

The question, O me! so sad, recurring—What good amid these, O me, O life?

 

                                       Answer.

That you are here—that life exists and identity,

That the powerful play goes on, and you may contribute a verse.