À se demander si ce petit bout de chou haut de trois pommes comprenait un mot à tout le charabia des grands et de la guerre. À se demander si elle avait compris le temps que cela a pris de tourner le mal en dérision, d’avoir le courage de se mettre à nu dans toute ses faiblesses ou ses monstruosités humaines, si les spectateurs se riaient d’eux-mêmes en exorcisant toutes leurs peurs d’hier -encore, amadoués par un coup de génie ou de théâtre ou s’ils étaient là pour joe Kodeih, parce qu’il les fait rire, tout simplement… lui qui brise les normes de ses monologues, sortant de son quatrième mur entre deux temps, dans un espace dérobé complice de tous ces yeux scrutateurs, le temps d’un clin d’oeil.
À se demander si la sensibilité, l’éveil ou la lucidité extrême de julia, fille d’acteur et artiste dans le sang et l’âme lui révélait tout de ces tours de Babel… pouvait-elle elle, si petite, dans sa chaise, tout près de sa maman, le sourire au fond des yeux, pouvait-elle comprendre tout ce qui se disait sur scène sans se dire? Ces guerres perdues d’avance, l’absurdité des combats sans issue, toutes ces peurs sans retenue, ces torpeurs face au destin et puis le devenir de toute une foule de moutons de Panurge blasés, sans rythme intérieur, aucun?
joe Kodeih se déchaîne sur scène, en ouragan que la guerre de notre Liban n’a pas pu amadouer. Il dit haut et fort tout ce qui lui passe par la tête et le coeur. À en faire rire et renaître la génération d’après-guerre, jusque dans le fond de ses entrailles. Le monde est devenu fou et l’on rit de nos folies, on guérit de nos blessures, le temps d’une catharsis, d’une thérapie commune, celle d’une mémoire collective enterrée dans les oubliettes intérieures.
Mais elle… Elle, elle a tout compris. Au-delà de la guerre, de la laideur ou la lâcheté des hommes. Au-delà des partis -pris-, de l’intensité des non-dits… Plus fort que les différentes langues ou langages à interpréter, le texte et ses mille sous-textes, les sinuosités de l’intelligence humaine, la manipulation dégoûtante et ses mécanismes… le rire! Le rire, cette émotion qui nous est si propre ne peut être analysée, mais seulement perçue, dans cet art de l’instant, de coeur à coeur. Le rire brut, innocent, bienveillant, émerveillé, aimant, clair et cristallin… à faire fondre tous les coeurs, à nous ramener à cet enfant en nous qui croit en l’homme, nous encourage à nous élever, nous surpasser, aller plus loin… et julia a tout dit dans un rire. Et puis, qu’importe le Ghadab… au fond, ‘papa tu es très fort!’
Marie-Christine Tayah
*AboulGhadab par joe Kodeih, Théâtre Gemmayzé –EXTENDED.