Arts Scéniques Théâtre

“Sleeping”, un spectacle onirique de Serge Nicolaï avec Yoshi Oïda dans le rôle principal

La représentation théâtrale de Serge Nicolaï est basée sur une réécriture du roman Les belles endormies de Yasunari Kawabata. Yoshi Oïda joue le rôle principal. Ce spectacle visuel, sonore et onirique s’inspire de la tradition du Nô et du Kabuki pour proposer un théâtre contemporain corporel qui met en avant masques japonais, jeu vidéo et musique. « Éclairer la vie en regardant la mort. »  Rencontre avec le metteur en scène Serge Nicolaï autour de la pièce.

Crédit photo : Serge Nicolaï

Qu’est-ce qui vous a attiré en premier lieu : le titre du roman de Yasunari Kawabata, « Les Belles Endormies » ou le texte ?

Le titre ; j’étais dans une librairie, je suis tombé sur le roman. Je l’ai pris, lu, et c’était parti. Mais je savais dès le début que je recherchais une identité japonaise à l’oeuvre.

Aviez-vous choisi au départ Yoshi Oïda comme acteur principal?

Oui. Je tenais absolument à ce que ce soit Yoshi Oïda qui joue dans la pièce. Yoshi est très curieux en tant qu’acteur. Il est à l’écoute et disponible. C’est mon aîné en matière de théâtre, et c’est une légende du théâtre certes, mais sur le plateau, c’est mon acteur. Il n’existe pas de Salamalecs entre nous, d’ailleurs, il ne les aime pas. Chaque soir, je reviens avec de petites notes à la fin de la représentation, et c’est ce qui lui permet de donner le meilleur de lui-même ; il ne veut surtout pas s’ennuyer. Quand il s’ennuie, il joue moins bien.

Avez-vous réécrit la pièce sur le plateau avec les acteurs après avoir rédigé le texte final ?

Avec Yoshi, nous avons expérimenté le texte, la narration et les masques. De là, on a commencé à voir ce dont on n’avait plus besoin dans le texte et dans l’histoire. L’histoire de Yoshi a également servi au travail. Le travail s’est un peu fait dans une certaine dimension medium. On est passé par quelque chose d’inconscient qui nous a aidés à déterminer ce dont on avait le plus conscience. Ensuite, c’est vraiment un ensemble d’éléments qui se sont mis en place. La vie de Yoshi imprégnée de sa culture; dans le roman, ce n’est pas ce qui constitue le personnage. Pour moi, c’était important que l’acteur soit aussi un homme de théâtre parce que cela justifiait les masques.

Les masques ne relevaient donc pas d’une dimension esthétique pour vous ; c’était un choix justifié de mise en scène ?

C’était un choix de mise en scène, bien évidemment. J’avais travaillé avec les masques balinais  dans le temps. J’avais très envie de creuser un peu plus dans cette dimension de la tradition japonaise. Je voulais expérimenter la rigueur du masque japonais. Ce masque-là donne plus de profondeur, voire de pouvoir… il conduit au fin fond des abysses. C’était évident pour moi de le mettre dans l’histoire d’un homme qui meurt. Voilà ma lecture du roman ; le roman de Kawabata est sensoriel, visuel, mais il ne ferme pas les portes. Il ne nous met pas sur les rails. Le lecteur prend la liberté de lire le roman et de le finir comme bon lui semble. C’est ce que j’ai décidé de faire, en tant que metteur en scène et d’homme de 54 ans. Il y a quelque chose de ma vie qui se reflète là aussi sur scène, comme personne qui a plus d’années en arrière que d’années en avant. Yoshi Oïda m’a raconté que lorsqu’il avait 54 ans, il croyait que sa vie d’acteur s’arrêtait là. Je suis heureux qu’il n’ait toujours pas arrêté de jouer !

Comment est-ce que vous expliquez le choix de la dimension pop/musique techno dans la pièce ?

Au fait, c’est une pièce qui se passe de nos jours, aujourd’hui même. On est dans une dimension contemporaine. Yoshi vit en Occident et reconnaît le Japon comme vieillissant. Les traditions se perdent. Même les femmes sont circassiennes suisses. Elles ne sont pas japonaises. Mais elles ont aussi appris à acquérir les traditions du pays pour jouer sur scène. Cela fait également partie de la réinvention de la pièce dans tous ses éléments.

Qu’en est-il du masque d’homme sur un corps de femme ?

En fait c’est son miroir. C’est lui qui se retrouve face à lui-même. Il se voit dans un corps de femme. Cela représente la face féminine que chaque homme porte en soi.

La pièce serait-elle féministe en quelque sorte ?

Oui, bien sûr. D’ailleurs, le roman l’est aussi. On perçoit même un moment de violence chez l’homme, mais il se reprend. C’est également pour montrer la faiblesse de l’homme. Si les uns sont dérangés de voir un homme âgé avec de jeunes femmes, c’est aussi parce que c’est le rôle du théâtre, celui de déranger pour dénoncer les choses.

Crédit photo : Crédit Maria Vittoria Bellingeri

Quelles sont les clés d’une adaptation théâtrale réussie selon vous ?

Ce spectacle n’est pas une adaptation. Ma pièce est différente du roman. En tant que metteur en scène, je me suis inspiré du roman, et j’ai tricoté la pièce à ma façon en toute liberté. Le roman ne se termine pas comme dans cette pièce. L’auteur a laissé la fin libre à toute interprétation. Moi j’ai pris le choix de clôturer l’histoire ainsi. C’est au fait le musicien qui tient le fil de la vie de l’homme, qui lui donne le souffle et puis le reprend…

*Interview : Marie-Christine Tayah