Arts Scéniques Théâtre

Almaryam, une performance de Mariam Hammoud au Théâtre Tournesol

‘Comment pourrais-je achever de coudre cette étoffe de linge blanc? Depuis l’invasion des drapeaux noirs, je joins par-ci et par là toutes les pieces utiles. Qui d’autre que moi s’occuperait de l’enterrement? Quand mourra-t-on mon fils? La solitude, la perte, la déception… la mort. On dit mieux vaut être la mère d’un tueur que celle d’un tué. Mais s’il me tuait à moi? Et s’il ne le ferait pas?’

Voilà l’introduction de la performance almaryam au Théâtre Tournesol. Une performance mise en espace par Mariam Hammoud avec la participation d’Evin Charif, de Stéphanie Kayal et d’elle-même.

Partant de l’affiche sobre et expressive de Mirella Salamé, représentant une ou la femme, avec son jardin secret et son épaule bien droite où petit oiseau viendrait s’y ressourcer, la pièce s’étale en expression corporelle.

Trois femmes. Sur une musique aussi étouffante que les battements de coeur, un silence religieux s’impose forcé, sacré même. Et puis, tout s’enchaîne, à l’unanimité; l’alternance des tissus blancs et sombres, la poussière émanant des petits gestes, comme ceux d’ôter ses chaussettes ou d’épousseter la table, mais aussi la parfait maîtrise corporelle qui nous ramène à la fragilité des corps ou au sang chaud dans les veines ou dans le coeur. Mais encore les sons d’une fourchette, celle qui se fourre toute la viande hachée dans la bouche, les yeux écarquillés, jusqu’à s’étouffer elle-même, celle qui coud et recoud le linceul qui la couvrira toute entière, celle qui va de convulsion en convulsion jusqu’à ce se figer dans un silence résigné, morbide… Celle, celle et celle… Des femmes, trois, en une. LA femme.

La femme porte dans ses entrailles un amour inconditionnel. Celui d’une mère pour son propre fils, qu’il aille combattre les autres ou l’assassiner à elle. Si tel est son chemin, elle lui y donne volontiers accès. Rien n’est sacrifice pour elle. Elle est femme. Celle qui enfante dans la douleur. Celle qui se donne, donne sa vie, son dernier souffle pour celui qu’elle aime. Celle qui meurt pour cet autre; son mari, son enfant, l’inconnu de ses nuits sombres, elle, la reine des tragédies aux rêves blancs. Son nom est sacrifice, elle, la braise qui aurait pu dompter tous les fourneaux ardents.

Devant autant de douleur, nul besoin de savoir à qui appartient le drapeau noir, qui est le responsable du crime ultime irrémédiable, des pleurs de toute une région, de toute une génération. ‘Crime et châtiments.’ À quoi bon chercher la cause, le petit vers qui ronge la conscience et le reste d’humanité. À quoi bon sortir les menottes, pointer des doigts accusateurs, prendre sa revanche. Le mal est fait. N’en parlons plus. Et aux drapeaux noirs de trôner partout, jusqu’au fin fond des âmes manipulées, contaminées, pourries. Infâmes… Et puis un jour, à ce train-là, la femme même arrêtera d’être femme.

 

-Marie-Christine Tayah