Arts Scéniques Théâtre

Yoshi Oïda : L’Acteur Humain. Croisée des chemins, Paris.

Paris, Novembre 2021. Yoshi Oïda joue comme acteur principal dans « Sleeping », spectacle onirique de Serge Nicolaï, Théâtre du Montfort.

Dans la pièce « Sleeping », mise en scène par Serge Nicolaï et basée sur une réécriture du roman Les belles endormies de Yasunari Kawabata, Yoshi Oïda, acteur, metteur en scène et écrivain japonais, joue le rôle principal. Le personnage âgé, Egushi, se tient à la limite du rêve et de la réalité, au seuil de la vie ou de la mort et fait face d’une façon crue et poignante à son passé où des visages de femmes dénudées mais masquées le ramènent à la première femme, sa mère… mais aussi sa fille, son épouse et sa maîtresse… Face à ces femmes, se déploie son miroir intérieur cru, brut, dérangeant, comme un voyage inconscient de sa conscience. Yoshi Oïda s’adonne à une expérience onirique contemporaine imprégnée de l’art japonais, celui des masques, du Nô et du Kabuki.

Yoshi Oïda est né en 1933 à Kōbe et est formé en philosophie et au théâtre japonais. Il vit en France depuis 1968 et devient le comédien légendaire de Peter Brook. Dans ses trois livres: L’Acteur Flottant, L’Acteur Invisible et L’Acteur Rusé, il fait part de son expérience théâtrale. Il met également en scène théâtre, danse et opéra et joue aussi au cinéma avec Peter Greenaway.

Pour Yoshi Oïda, pas de limites entre les civilisations… ni entre la vie et la scène. Le théâtre non plus ne connaît pas de frontières et tout revient à une seule et même expérience : être Humain. Rencontre.

Photo de “Sleeping” de Serge Nicolaï, Théâtre du Montfort, Paris

Où est la limite entre le théâtre et la vie ?

Autrefois toute ma vie était théâtre, pour le théâtre. Actuellement, le théâtre m’apprend comment vivre quotidiennement. Le théâtre est une étude de la vie.

Vous avez longtemps fait du théâtre avec Peter Brook et joué au cinéma avec Peter Greenaway. Y-a-t-il une différence pour vous entre un acteur de théâtre et un acteur de cinéma ?

Au théâtre on cherche à expliquer qu’est-ce que l’être humain, quelle est sa beauté. Au cinéma, c’est aussi le même but ; une recherche perpétuelle sur l’humain.

Pour moi, il n’y a pas de différence.

Pourquoi avoir dit oui à ce projet qui parle de vie et de rêve ?

Parce que j’ai travaillé comme comédien avec Peter Brook durant 40 ans et maintenant c’est intéressant pour moi de travailler le théâtre français contemporain, le théâtre de cette génération. De plus, l’artiste est très sensible.

Ayant écrit des livres de témoignages sur la philosophie du théâtre (L’Acteur Flottant, L’Acteur Rusé, L’Acteur Invisible), comment vous retrouvez-vous en tant que comédien qui apprend sur scène ?

J’étais comédien durant 70 ans et j’ai gagné de l’expérience au théâtre. Ce que j’ai ressenti, tout ce que j’ai vécu, je l’ai mis sur papier, comme documentaire. Mon expérience est écrite pour aider les comédiens des jeunes générations. Et puis au théâtre, on ne s’arrête pas, on apprend toujours…

Quelles sont vos réflexions sur la vie, l’être humain ?

L’être humain est très mystérieux. Je ne saurais ni l’imaginer, ni le comprendre ni le définir. Mais je suis sûr d’une chose ; être humain c’est formidable.

Vu que ce spectacle est basé sur le rêve, la vie et la mort, quel est votre rapport à la vie ?

Je ne pense pas au passé, c’est fini. Le futur, on ne le connaît jamais. La vie c’est maintenant, c’est ce que l’on fait à cet instant précis, au présent. Il y va de même pour le théâtre. Le théâtre c’est le maintenant.

Qu’est-ce qui vous reste de votre expérience avec Peter Brook ?

Comment on peut aller plus loin et ce qu’on peut arriver à comprendre encore plus. Je ne sais pas quelle est la vérité absolue, mais c’est sûr qu’elle existe (j’espère). Le travail avec Peter Brook consistait d’ailleurs à chercher la vérité et à éviter les clichés culturels et les habitudes.

A-t-il été facile pour vous d’aller vers la culture occidentale, ayant été formé au Japon ?

J’ai travaillé presque 50 ans dans chacune des deux cultures…

Vous gardez donc les deux en vous ?

Avec Peter Brook, le travail s’est surtout fait à l’international. Je n’ai plus conscience de ce qui est oriental ou occidental ; tout se rejoint. Seule l’essence demeure : comment être humain.

C’est donc au-delà des limites et des frontières…

…Pas au-delà, bien en-dessous. C’est chercher dans les profondeurs comment être vraiment humain.

Quelle sont les clés de la réussite de l’adaptation théâtrale ?

C’est très difficile de répondre à cela parce qu’il n’existe pas de méthode particulière. Le point de départ est libre. Ensuite, il faut aller au théâtre ! Mais il n’y a pas de méthode guide à suivre.

Quel est votre conseil aux jeunes acteurs ?

Tout est possible, il n’existe ni lois ni méthodes. Chaque personne doit trouver son propre chemin. Bien sûr, le théâtre classique existe. Il se plie à des formes. Mais pour chaque création, il existe une réponse spécifique. Ne restez pas prisonniers de ce qui existe déjà.

*Interview: Marie-Christine Tayah